Dans le coeur humain, il y a des cordes qu'il est préférable de ne pas faire vibrer.
[Charles Dickens]
1966, quelque part en AngleterreFrissonnant de froid, de peur et peut être même de faim, l'enfant se recroquevilla sur lui-même et ferma les yeux, espérant probablement fuir les monstres qui l'entouraient. Refoulant un gémissement plaintif alors qu'il les sentaient s'approcher, il s'écarta, ses mains s'appuyant contre le sol carrelé, glacé. Son regard déchirait la porte, ou plutôt son emplacement, puisqu'elle n'existait plus à présent. L'obscurité l'avait avalée, comme tout le reste, et le temps l'avait totalement effacée. Le néant l'entourait, comme une mère câline son enfant, ses bras interminables le réduisaient à l'immobilité et anesthésiaient ses sens.
Bientôt, il cessa de frissonner. Il ne faisait plus froid, mais très chaud, au contraire. Il ferma les yeux et tenta de penser à des choses joyeuses. L'astuce ne fonctionna guère, il n'avait absolument aucune idée, et les seules choses que son esprit parvenait à dessiner étaient des formes vagues, effrayantes, angoissantes qui l'attiraient inexorablement vers un état de semi transe.
Il ne savait plus pourquoi il se trouvait là, et cette temporaire amnésie le bouleversa. Il se souvenait des voix doucereuses et des explications, mais les mots, bien qu'il puisse les répéter sans mal, n'avaient pas de sens à ses yeux. Rien n'expliquait une telle situation, d'ailleurs, et il ne se souvenait pas qu'il existait une telle salle ici. Il n'y avait que des chambres, lui semblait-t-il, et des salles de bains. Les autres endroits, il n'avait pas le droit d'y aller, c'était trop important. Il était également certain qu'il ne s'agissait pas d'un dortoir, car il n'y avait ni lit, ni poussière. Le sol était parfaitement propre, et, bien qu'il ait du mal à se l'avouer, il le préférait à celui de sa chambre. Il toucha encore une fois le sol du bout des doigts. Il n'y avait pas de carrelage dans les chambres, juste de la vieille moquette abimée.
Les questions s'accumulaient dans son esprit blessé, et les réponses se faisaient rares. Cette salle, quoi qu'elle fut, n'était pas sa chambre, et ça n'était pas une douche non plus, il y faisait trop sec. Peut-être la salle des punis. Mais il ne s'était pourtant pas fait punir, donc c'était improbable. Alors, ce devait être la salle des adultes. Sans adultes. L'enfant se laissa tomber sur le côté, ses yeux refusant toujours de s'ouvrir.
Sans personne.
Des murmures étouffés lui parvenaient aux oreilles, lointains, étrangers, presque gênants, alors qu'il tentait vainement de sombrer dans l'obscurité. Ses yeux se rouvrirent immédiatement: la porte était revenue. Elle bougeait légèrement, la poignée se tournait, et les murmures se faisaient plus intenses encore. L'enfant tenta de se relever, mais il retomba à terre comme une poupée de chiffon.
" N'entrez pas "
L'ordre paraissait supplication, alors qu'il traversait ses lèvres et résonnait dans l'immense local. Il se tenait assis dans un coin de la salle, légèrement recroquevillé sur lui-même. Ses yeux refusaient catégoriquement se fermer, fixant, angoissés et haineux, l'encadrement de la porte. La solitude lui manqua vivement, soudainement. Il voulu remonter le temps, rester dans le noir pour toujours, c'était mieux.
Des formes immenses lui faisaient face, mais il ne savait pas ce que c'était. Probablement des humains: elles parlaient comme eux, avec mépris. Il leva les yeux, sentant, comme instinctivement, qu'il ne devait pas paraitre faible.
" C'est terminé ? "
La question était presque naturelle. Il hésitait. Les regarder, eux, leurs yeux, leurs mains ? Les ignorer ? Les remercier ou les mépriser ? Il ne savait plus. Leurs visages lui disaient quelque chose, oui. Il les avait vu. Juste avant d'entrer. Ils étaient jeunes, tous les trois, l'un arborait un sourire bienveillant, l'autre un rictus satisfait et le dernier n'avait aucune expression. Ce fut long, de les écouter parler, la réponse ne venait pas, ils ne l'avaient peut-être pas entendu. Il avait peut-être parlé dans sa tête, seulement, comme cela lui arrivait souvent, quand personne n'était près de lui. Mais il comprenait, ils se méprenaient en l'ignorant. Il comprenait, plus qu'ils ne le pensaient.
Il craignait juste d'avoir raison.
Les sourires s'affichèrent sur tous leurs visages, brusquement, alors que l'un deux avait murmuré un numéro.
Thirteen
" Je veux sortir... "
Il avait pensé, mais paradoxalement, les trois visiteurs l'avaient entendu. L'un deux lui tendit la main, un autre sortit un carnet de notes. Le dernier s'était écarté et le détaillait avidement. Ses yeux étaient gris et mauvais, il ne pouvait pas s'empêcher de les fixer, pourtant, sa position assise le gênait, il voulait s'approcher, il voulait lui parler, il voulait comprendre et poser des questions. Les deux autres hommes l'importunaient, il voulait être seul avec les yeux gris fascinants. L'enfant tenta une nouvelle fois de se lever; il s'appuya au mur de pierre, méprisant la main tendue. Difficilement, ses jambes le portèrent. Les expressions des trois hommes ne changèrent pas, la main tendue disparut dans l'obscurité, le stylo grattait furieusement le papier.
" Qui ..."
Sa voix était plus forte que tout à l'heure, elle le surpris. Il marqua une pause, allant lentement vers les yeux de métal.
"...êtes-vous ? "
Un sourire se dessina dans le néant. Pas de réponse. Juste un bras se mouvant doucement vers le sien, une douleur aiguë et des pupilles scintillantes d'intérêt. On laissa choir la seringue à terre, on le porta, et il ne revit plus jamais la salle au néant.
" Et moi... ? "
" Toi ? Tu n'es personne, Thirteen "
Umbrella: Fichier Crypté n°5485
Rapport n°1 concernant le projet W
(extraits)
1966
Le projet a commencé. Les sujets sont en sécurité (…)
Nous les avons confiné dans un orphelinat de notre responsabilité, l'adresse vous sera communiquée ultérieurement. N'y allez que si nécessaire, les enfants sont gardés par nos agents.
(...)
Merci de ne laisser filtrer aucune information, ce projet n'est connu que de trois hommes au Monde (…)
Oswell. E Spencer, James Marcus, Edward Ashford et vous-même, Alexandre Wesker.
(…)
Vous prendrez la tête du projet. Nous comptons sur vous et vos compétences.
Voici la liste et les informations concernant les sujets:
La suite n'a pas été divulguée.